C’est ce qui ressort du contenu d’une lettre datée du 14 avril 2023 signée par David Grylls, le patron d’Actis et adressée au Premier ministre Joseph Dion Ngute sous forme de mise en demeure, pour réclamer le payement de ladite somme, au risque de trainer le pays en justice pour « rétention illégitime » de ses liquidités.
C’est une affaire qui ne fait pas grand bruit ni dans la presse ni dans l’opinion publique, et publique, elle est d’un très grand intérêt car concerne l’Etat du Cameroun. On savait que l’Etat était lourdement endetté auprès de plusieurs sociétés parapubliques et privées, mais le climat qui règne actuellement entre le gouvernement et la multinationale Actis, propriétaire d’Enéo Cameroun risque de créer un délestage à longue durée dans le ciel de l’électricité dans notre pays. La multinationale donne jusqu’au 28 avril 2023 à l’Etat pour payer sa créance qui se chiffre à 186 milliards de Francs CFA, faute de quoi, elle enclenchera une procédure arbitrale.
En effet, et selon certaines sources, dans une lettre datée du 14 avril 2023, David Grylls, le patron d’Actis a servi une mise en demeure au Premier ministre, Joseph Dion Ngute, pour réclamer un paiement de 186 milliards de FCFA, au risque de traîner le pays en Justice pour « rétention illégitime » de ses liquidités.
« Actis vous a écrit en septembre 2022 pour vous alerter sur le fait que les dettes accumulées étaient si importantes que la liquidité d’Eneo était menacée. Par la suite, des paiements limités ont apporté un certain répit. Cependant, les paiements ne se sont pas poursuivis. Nous sommes informés qu’Enéo est maintenant redevable d’environ 186 milliards de FCFA. Une fois de plus, la liquidité d’Enéo est menacée, ainsi que sa capacité à réaliser pleinement son potentiel dans le cadre de la Concession et d’autres accords. Compte tenu du rôle crucial joué par Enéo dans la production, la distribution et la vente d’électricité dans tout le pays, la viabilité continue du secteur de l’électricité au Cameroun est toujours fortement menacée », écrit David Grylls.
Il poursuit sur un ton ferme : « Actis exige maintenant un engagement immédiat, concret et contraignant de la part du gouvernement d’apurer ses importantes dettes accrues (ainsi que celles des autorités publiques et des entités détenues par l’État) et de payer les dettes futures au fur et à mesure qu’elles arrivent à échéance. Les mesures palliatives qui ont caractérisé la réaction de l’État aux préoccupations d’Actis concernant la viabilité à long terme du secteur de l’électricité sont insuffisantes ».
Il ressort des explications données que la majeure partie de cette dette accumulée concerne l’électricité consommée par l’État, les pouvoirs publics et les entités publiques. Elle est complétée par les remboursements de la taxe sur la valeur ajoutée pour 2022 et les paiements de compensation tarifaire qui sont dus mais n’ont pas été effectués. Les intérêts sur les paiements en retard s’accumulent et la dette continue de croître. Il en résulte une crise de liquidité aiguë dans le secteur de l’électricité.
Dans le même temps, indique le patron d’Actis, Eneo doit toujours effectuer des paiements importants aux fournisseurs d’énergie KPDC et DPDC, qui appartiennent à Globeleq, Sonatrel (Société nationale de transport de l’électricité), Sonara (société nationale de raffinage) et EDC (electricity development corporation).
Vers une procédure judiciaire ?
Toujours selon M. Grylls, cette situation de dette de l’Etat rend Enéo incapable de respecter ses engagements et obligations envers ses fournisseurs, y compris KPDC (centrale thermique de Kribi) et DPDC (Centrale thermique de Douala). Eneo reconnaît d’ailleurs qu’elle doit actuellement plus de 50 milliards de FCFA à KPDC et plus de 9 milliards de FCFA à DPDC. Aussi, bien qu’Eneo a été en mesure de renouveler récemment ses lettres de crédit, celles-ci seront bientôt épuisées (peut-être ce mois-ci : Ndlr) et les moteurs des centrales seront arrêtés si les dettes de l’État ne sont pas payées. Le pays et les ménages risques fortement d’être impactés.
« Eneo pourrait alors être contrainte de se mettre en défaut. Les conséquences pour Eneo et l’État pourraient être importantes. Les engagements de l’État envers KPDC et DPDC pourraient l’obliger à supporter la charge financière qui en résulterait, que nous estimons à 400 millions d’USD soit environ 240 milliards de Francs CFA. En résumé, il existe un risque tangible que les dettes de l’Etat augmentent considérablement s’il continue à retenir illégitimement les sommes dues à Eneo », indique le DG d’Actis
Le patron d’Actis n’est pas aller les mains mortes ; il s’est montré outré et très menaçant envers le Chef du gouvernement : « Cette conduite doit cesser. Nous réitérons qu’Actis soutiendra Eneo dans la recherche de solutions, y compris l’arbitrage dans le cadre des accords de concession ou dans tout autre instance appropriée, si cela s’avère nécessaire. Actis vous rappelle qu’elle jouit de ses propres droits en tant qu’investisseur protégé en vertu de l’Accord pour la promotion et la protection des investissements conclu entre le Royaume-Uni et le Cameroun en 1982 (le Traité). Les intérêts d’Actis dans Enéo sont des investissements protégés en vertu dudit Traité. Actis n’hésitera pas à faire valoir les protections substantielles qui lui sont accordées en vertu de ce Traité pour assurer la sauvegarde de ses investissements, que ce besoin résulte de l’incapacité de l’État à remédier à la crise de liquidité actuelle ou de tout usage illégitime des prérogatives souveraines au détriment d’Actis et/ou d’Enéo ».
L’Etat du Cameroun sous forte pression
Dans la même veine, Actis informe par la présente que si aucune mesure rapide et concrète n’est prise pour résoudre les problèmes décrits ci-dessus dans un délai de « 14 jours » (soit le 28 avril 2023 : Ndlr) à compter de la présente lettre, Actis émettra une lettre de déclenchement en vertu du traité. Cette lettre lèvera le seul obstacle procédural à l’ouverture d’une procédure formelle en vertu du traité susmentionné, sans qu’il soit nécessaire de référer à l’Etat du Cameroun à nouveau.
Depuis 2018, Eneo estime qu’elle a investi près de 400 millions USD dans le secteur. L’entreprise affirme qu’elle ne peut espérer continuer à réaliser des investissements à cette échelle, ni respecter ou dépasser ses propres normes de haute performance, ou celles fixées par les Conventions de concession, si elle est privée de liquidités.
La réponse du gouvernement face à cette saisine d’Actis, elle, n’a pas encore filtré. Le silence du gouvernement se prolonge alors que l’échéance donnée par Actis arrive déjà à son terme. Voilà une autre affaire à suivre car décidemment l’Etat du Cameroun est reconnu comme mauvais payeur ou tout simplement comme ne payant pas ses dettes. Que l’on ne soit donc pas surpris si des mouvements importants sont observés dans ce secteur de l’électricité dans les prochains jours. Affaire Tchad-Cameroun sur Savannah Energy, affaire Enéo, autant de dossiers qui, certainement ne donnent pas le sommeil aux dirigeants camerounais.
Une grève annoncée par le sous-traitant d’Enéo
Comme le malheur ne vient jamais seul, voici que l’un des sous-traitants de Enéo, l’Organisation Interprofessionnelle des Sociétés d’Electricité et d’Eau du Cameroun (ORISELEC) annonce au travers d’une note, l’arrêt des travaux dès le 10 mai prochain si Enéo ne régularise pas la situation de dettes dont celle-ci est victime depuis plus de 8 ans déjà. Le montant de ces dettes qu’Enéo doit à ces sociétés, 140 au total est de 10 milliards de Francs CFA. Joint au téléphone par notre rédaction, le président national de cette organisation Simon Lapnet assure que ce mouvement annoncé sera respecté si rien n’est fait.