Le Premier ministre par intérim du Mali, Abdoulaye Maïga a regagné sa terre natale ce 27 septembre 2022 après un séjour au sommet de l’ONU où il a tenu l’un des discours les plus osé de l’histoire des indépendances africaines.
C’était un accueil digne d’un sauveur ; on dirait Jésus entrant à Jérusalem. Le Premier ministre par intérim du Mali, Abdoulaye Maïga a été porté en triomphe par les maliens à Bamako sur les bords du fleuve Niger. Depuis son atterrissage à l’aéroport international Modibo Keita de Bamako-Senou, celui qui est considéré ici comme « un héros national », suite à son discours tenu au sommet de l’ONU, a été accueilli en grande pompe par les membres du M5-RFP, ceux du gouvernement et de nombreux maliens. Les populations du pays de Goita manifestent par cet accueil, la joie et le désir ardent de se défaire des prédateurs du néocolonialisme et de clamer au plus haut niveau leur souveraineté. Un désir que Abdoulaye Maïga a exprimé sans ambages au sommet des Nations Unies.
Ce discours du samedi 24 septembre 2022 a attiré à son auteur des louanges pour ce qui a été qualifié de « vérités crues » par les malien ; mais aussi pour son courage et son éloquence. Selon une certaine opinion, il ne pouvait en être autrement depuis que les colonels ont pris le pouvoir en août 2020. Le porte-parole du gouvernement de transition malien n’a pas manqué de s’insurger contre le président de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et l’organisation des Nations Unies elle-même, qui se laisserait instrumentaliser, ainsi que les présidents nigérien et ivoirien. Il va d’ailleurs souligner : « Pour chaque balle tirée contre nous, nous réagirons par réciprocité ». Un coup de tonner qui a retenti au sommet des Nations-Unies ; « La voix du Mali résonne comme un gong », écrit le quotidien gouvernemental L’Essor en première page, « les oreilles de bien des contempteurs étrangers des autorités de la transition ont sifflé ». Un discours révolutionnaire alors que son prédécesseur avait dénoncé un an plus tôt « l’abandon en plein vol » du Mali par la France. Toutefois, il faut reconnaitre que si la sortie du colonel Abdoulaye Maïga semble avoir été un énorme succès par la majorité des maliens, elle a suscité cependant de vives critiques de la part d’autres observateurs.
Un discours fortement critiqué
Une avalanche des critiques s’est abattue sur le Chef du Gouvernement de transition malien au lendemain de ce discours anticonformiste. L’ancien premier ministre Moussa Mara (2014-2015) a déploré un « ton belliqueux ». « La multiplication des frondes et l’adoption d’une posture agressive vis-à-vis de l’extérieur sont contre-productives » quand le pays a d’autres préoccupations, a-t-il écrit.
« Une honte pour notre pays », s’est ému le président du Parti social-démocrate Ismaël Sacko. Zeidan Ag Sidalamine, un leader communautaire touareg, s’est indigné des « propos xénophobes et racistes » tenus contre le président nigérien. Car ils ont été largement interprétés comme une allusion à son origine communautaire.
Dans une publication sur les réseaux sociaux, le ministre délégué aux affaires étrangères Youssouf Mohamed Elmouctar a « condamné fermement le contenu des propos [du colonel Maïga]. L’ivresse de la junte malienne lui a fait oublier le sens du protocole et de la diplomatie ». « Il a fait honte à l’Afrique et au monde civilisé », a poursuivi le ministre, dénonçant « la bassesse » des propos du chef du gouvernement malien.
Discours du colonel Abdoulaye Maïga : L’expression d’un ras-le-bol
Bien que maladroit et allant à l’encontre des canaux diplomatiques selon certains, le discours du malien peut-être perçu comme l’expression d’un désir profond de protection de la souveraineté du pays longtemps resté sous le joug de la France dont il dénonce avec énergie et dont la situation tendue jusqu’ici semble présenter les conséquences d’une plaie profonde. Ce discours au-delà des critiques est l’expression du cœur, un désir d’autonomie et de liberté.
Un critique africain affirme d’ailleurs que « si les pays africains avaient eu ce zèle depuis, ils ne seraient plus absents au Conseil de Sécurité de l’ONU. Et la voix de l’Afrique porterait. » Pour les tenants de cette thèse, les autres pays africains feraient mieux de copier l’exemple du Mali qui ose au lieu de formuler de vaines critiques. S’il est vrai que cet acte est l’expression d’une volonté sincère à côté du silence complice ou de l’hypocrisie de certains dirigeants africains face à leurs anciens maitres occidentaux, il faut néanmoins repenser le type de collaboration au lieu de faire des questions diplomatiques un conflit frontal.