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dimanche, 22 décembre 2024

 Politique // Le SED : Prison spéciale ou lieu de règlement de compte politique.

Très peu oui très peu sont ces camerounais qui peuvent toute peur gardée s’aventurer à présenter le Secrétariat d’Etat à la Défense (SED) comme un lieu ordinaire, un service d’enquêtes spécial. Au fil des ans, ce lieu a accru sa réputation d’une machine à broyer certaines pontes du régime qualifiés de ‘’ prisonniers de luxe ‘’. Entre peur et mystères, le SED est au service de son créateur, un service de l’Etat à caractère spécial.

Titus Edzoa, Marafa Hamidou Yaya, Emmanuel Gérard Ondo Ndong, Polycarpe Abah Abah… pour ne citer que ceux-là, des noms bien connus au Cameroun, des noms bien connus au Secrétariat d’Etat à la Défense. Si tous ont un dénominateur commun, celui d’avoir séjourné (ou séjournent encore) en ces lieux, tous ont particularité d’avoir servi au plus haut sommet de l’Etat. Ministres, secrétaires généraux de la présidence de la Républiques, directeurs généraux de sociétés d’Etats… Tous oui tous connaissent bien les locaux du SED pour le même motif : Détournement de deniers publics selon la version officielle. Mais au-delà de cette raison avancée par les accusateurs, nombreux seraient parmi eux des victimes d’un régime politique jaloux de son pouvoir. Ne dit-on pas que le pouvoir est jaloux ? Ces prisonniers sont spéciaux, ils ne sont pas du droit commun, et méritent certainement un traitement spécial, un traitement hors du commun. Bienvenue le SED !!!

Marafa Hamidou Yaya au sortir d’une audience

« Le SED est la prison de ceux qui détiennent des informations sur l’État ou sur Paul Biya », résume un visiteur régulier habitué des lieux. Un ex-collaborateur du Président de la République est encore plus explicite : « Le SED est le lieu où l’on met au secret les prisonniers les plus dangereux, à savoir ceux que le chef de l’État considère comme des menaces pour sa propre survie ». Rien n’est donc censé sortir de ses murs ou presque. Pour se « débarasser » de ceux-là tout en ayant un œil sur eux, il fallait faire quelque chose, et la prison centrale de Nkondengui n’est pas approprié car trop ouverte au public. Fidèle serviteur du Chef de l’Etat, Amadou Ali, le notable de Kolofata et alors l’un des plus proches collaborateurs de Paul Biya en matière de sécurité et a la main sur la gendarmerie comme délégué, puis secrétaire d’État depuis 1983.

Amadou Ali, ancien Ministre

En 1996, il cumule même cette fonction avec celle de secrétaire général de la présidence puis de ministre délégué à la Défense, un an plus tard. « Biya avait un problème. Amadou Ali lui a apporté une solution », poursuit une source.
Ali fait donc aménager le SED qui n’est alors qu’un simple camp militaire. Deux espaces de 7 mètres carrés sont convertis en cellules, au sous-sol du secrétariat d’État, non loin des stocks d’armes des gendarmes. Une pour Titus Edzoa, ancien proche collaborateur du Président et devenu « gourmand » tel un jeune loup aux dents longues qui veut déjà la place du Chef, l’autre pour Michel Thierry Atangana, un de ses proches pressenti pour être son directeur de campagne. Ce dernier s’en souvient. « On appelait cet endroit le fourgon. Il n’y avait pas d’air, pas de lumière et tout était fait pour nous couper du monde. C’était un enfer. Je crois que l’intention était de faire mourir. » Titus Edzoa – condamné une nouvelle fois à vingt ans de prison en 2012 – et Michel Thierry Atangana ne seront libérés qu’en 2014.

De zone de détention à lieu d’isolement.

Si Jean-Pierre Amougou Bélinga, Justin Danwe, Léopold Maxime Eko Eko et leurs codétenus dans l’affaire Martinez Zogo n’ont passés que quelques jours en ces lieux, d’autres à l’instar de Marafa Hamidou Yaya n’ont pas eu cette chance, ce privilège. Il fait partie de ceux que le journal jeune Afrique avait surnommé « Very Important Prisoners ». L’ancien secrétaire général de la présidence et ex-tout puissant ministre de l’Administration territoriale, condamné en 2012 pour complicité intellectuelle et détournement de deniers publics, s’est reconstruit un quotidien derrière les murs de sa prison. Il occupe aujourd’hui une cellule aménagée dans un bâtiment en forme de U qui abritait naguère des bureaux.

L’ancien patron du Grand Nord, dont l’ambition aurait fini par effrayer le président Paul Biya, a réussi à aménager quelque peu sa cellule. Il en a fait refaire le circuit électrique et dispose d’un peu de mobilier pour son confort. Comme certains de ses codétenus, dont l’ancien directeur général du Fonds spécial d’équipement et d’intervention intercommunale, Emmanuel Gérard Ondo Ndong, et l’ex-ministre Polycarpe Abah Abah, il se fait livrer ses repas par ses proches, échappant au quotidien du réfectoire pénitentiaire. Il a aussi accès à la petite cour de promenade, où se retrouvent les autres VIP en quête d’un peu d’exercice ou d’un « bain de soleil », comme le décrit un habitué.

Des secrets à protéger

« On vous fait comprendre que vous ne faites plus partie de la vie normale », précise une source habituée des lieux. Emmanuel Gérard Ondo Ndong a ainsi appris un jour, brutalement, que la totalité de ses biens immobiliers avaient été vendus. Une information dévoilée par ses geôliers. « Le SED, c’est une torture psychologique. Vous y vivez au secret, au sein d’un groupe très restreint, coupé du monde », explique un connaisseur des lieux. « À Kondengui, même si vous êtes VIP, vous côtoyez des prisonniers de droit commun et il y a plus de visiteurs de l’extérieur, qui entrent avec quelques milliers de francs CFA. Au SED, les visites sont très réglementées et plus strictes. Les conditions matérielles sont meilleures, mais l’isolement est plus dur », ajoute un ancien détenu.

La communauté, dont la plupart des membres se côtoient depuis une décennie, a ses règles que les gardes – des militaires, une entorse au droit international – sont chargés de faire respecter, qu’ils appartiennent à la gendarmerie ou au Service Central de Recherche Judiciaire (SCRJ). Une chose est sûre : le secret n’y a pas sa place. Les chambres des détenus sont sonorisées et écoutées. Chaque propos est consigné, répertorié, transmis aux grandes oreilles de Galax Yves Landry Etoga, de la Direction générale de la sûreté nationale, pilotée par Martin Mbarga Nguélé, de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE) ou de la Sécurité militaire d’Émile Bamkoui.

Malgré les multiples aménagements qu’a connu le SED et son passage de lieu de détention officielle par un arrêté signé du ministre de la justice Laurent Esso en 2012, le Secrétariat d’Etat à la Défense aurait gardé sa mission première, celle d’infliger la peur et surtout protéger les secrets du pouvoir en place et de son numéro un, Paul Biya. Toute information le concernant est d’ailleurs placée sous le sceau du sacrosaint secret défense, raison pour laquelle les personnes rencontrées dans le cadre de ce reportage ont préféré, avec raison, rester anonymes. Certains nous ont pris pour « des fous » puis, prudents, ont cessé de nous répondre. D’autres, moins catégoriques, ont simplement souri et raconté au compte-goutte leur expérience des lieux. L’affaire Martinez Zogo, qui a exacerbé les tensions à Yaoundé, n’a évidemment rien arrangé.

Une vue de la cour de la prison centrale de Yaoundé

« Aujourd’hui, les détenus considérés comme les plus dangereux politiquement sont toujours incarcérés au SED », conclut un ancien collaborateur d’Etoudi. Des aménagements pourraient même avoir lieu afin d’agrandir les quartiers de détention et accueillir de futurs détenus. « Actuellement, le nombre de places est limité. C’est pour cela qu’on a envoyé Amougou Belinga et Eko Eko à la prison principale de Kondengui, où ils sont détenus avec les leaders séparatistes ambazoniens, confie un proche du gouvernement. Le pouvoir a besoin de ces espaces VIP, et donc du SED. Cette prison est née de la peur du régime. Et la peur n’a pas disparu. »

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