« Tout peuple colonisé – c’est-à-dire tout peuple au sein duquel a pris naissance un complexe d’infériorité, du fait de la mise au tombeau de l’originalité culturelle locale – se situe vis-à-vis du langage de la nation civilisatrice, c’est-à-dire de la culture métropolitaine. Le colonisé se sera d’autant plus échappé de sa brousse qu’il aura fait siennes les valeurs culturelles de la métropole. Il sera d’autant plus blanc qu’il aura rejeté sa noirceur, sa brousse » Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs.
Nous pensions être au bout de nos surprises avec le phénomène de dépigmentation de la peau ! Des lotions bourrées de produits toxiques inondent le marché africain et la ruée vers cette marchandise de la mort est encore loin de retomber. Une célèbre députée de la nation fait encore parler d’elle pour de mauvaises raisons. Au centre de la discorde qui l’oppose à l’opinion publique, un breuvage mortel censé éclaircir la peau. Après les injections, crèmes et lotions, la dernière se trouve être un breuvage magique qui aurait le mérite de rapprocher les damnés au teint est un peu trop foncé, des standards du maître de la métropole. Cette peau noire mal assortie décriée par les adeptes du collorisme entraine certains dans un complexe tenace. Élue pour apporter des solutions concrètes aux problèmes des populations, la députée, dans un enthousiasme qui frise l’impertinence a conquis les cœurs de certaines affranchies ahuries, qui s’abandonnent à l’ivresse de la décadence en se délectant de cette soupe de la potence qui offense et clochardise leurs origines.
La frivolité de la toilette éclaircissante qui s’accompagne d’une promesse éphémère d’admission dans le cercle des bienheureux trouve racine dans le discours dégradant à l’égard des Noirs. Dès le début du 19ème siècle, le discours sur la race a pris un tournant sérieux et posé les bases du racisme moderne tel que nous le vivons aujourd’hui, notre peau étant le souffre-douleur de multiples théories dites scientifiques. Césaire et les chantres de la Négritude y ont opposé un contre-discours au même titre que les chantres de la Harlem Renaissance dont l’une des figures majeures, Langston Hughes disait notamment : «We younger negro artists who create now intend to express our individual dark-skinned selves without fear or shame» [Nous, jeunes artistes noirs qui créons aujourd’hui, avons l’intention d’exprimer notre moi à la carnation basanée sans crainte ni honte]. L’on ne saurait se définir par rapport au regard que l’Autre porte sur nous. Nous reconnaissons que l’identité n’est pas une entité fixe gravée dans le marbre ; au contact d’autres cultures, ont se forge de nouvelles identités en même temps qu’on se remet soi-même en question. Cependant, lorsqu’il s’agit de la couleur de la peau, nous sommes confrontés non seulement à un problème de santé publique, mais aussi et surtout à une définition de soi qui doit opposer au discours raciste en la matière, un contre-discours qui réhabilite les Noirs dans leur dignité. La course effrénée vers la peau claire au Cameroun et ailleurs en Afrique révèle un problème criard de l’acceptation de soi. La pente escarpée qui conduit à la reconnaissance du maître reste et demeure un labeur infructueux qui vampirise les efforts que mènent les acteurs œuvrant à la réhabilitation de notre dignité enfouie sous les cendres du racisme occidental. Alors que la chose connaît des jours prometteurs aux États-Unis comme on l’a vu récemment avec le groupe somalo-américain qui a réussi à faire fléchir le géant Amazon sur la vente de produits éclaircissants, le Cameroun brille encore par la promotion de ces produits et innove en introduisant dans le circuit une gamme ingurgitable qui en rajoute au fétichisme de la carnation « immaculée ». L’opinion populaire ne retenant que le négatif, tel sera l’héritage que nous laissera madame l’Honorable députée de l’Assemblée Nationale, cette maison des affaires où le culte des titres et de la fonction l’emporte sur le devoir et prestige afférents au sacerdoce. La guerre faite à notre identité par madame l’Honorable remet sur la table le dictat des normes « eurocentrées » de beauté, dictées depuis toujours par un rejet systématique de l’abondante mélanine dont nous jouissons.
Des populations menacées par une insécurité alimentaire qui les côtoie au quotidien, se livrent à l’exquise ivresse d’un breuvage qui les appauvrit et hypothèque leur santé et leur bien-être. Le combat porté par notre diaspora trouve dans cette ciguë tropicale un frein à l’émancipation de nos peuples. Nous revenons ainsi sans cesse au point de départ à travers ce plébiscite de l’imposture porté par madame l’Honorable, projet de loi qui propose à un peuple déjà affamé par la mal gouvernance de se dépouiller et de s’endetter pour s’éclaircir la peau. Pourquoi dépenser pour se renier ? Acceptons-nous tel que nous sommes, Black is beautiful. Il est peut-être temps d’exhumer Peau noire, masques blancs, car il est plus que jamais d’actualité soixante-dix (70) ans après sa publication.
PS: Hommes Africains, sachons dire à nos femmes combien leur peau noire est belle. L’homme Africain est une partie non-négligeable du problème.
Maurice Tetne,
Ex-ouvrier des plantations (Correspondant La crème Hebdo)