L’expropriation pour cause d’utilité publique fait couler beaucoup d’encre et de salive au Cameroun ces derniers temps. S’il est vrai que les populations qui se voient expulser ont droit à une certaine indemnisation sur leurs biens, il est tout aussi vrai que l’on décrie la sous-évaluation qui entache cette indemnisation. Parfois, certains en bénéficient et d’autres pas. D’aucuns parlent alors d’une indemnisation à tête chercheuse.
L’expropriation pour cause d’utilité publique renvoie à une opération légale de transfert des droits de propriété liés aux biens d’une ou de plusieurs personnes privées à l’Etat en vue de la réalisation d’un projet d’utilité publique. Les juristes s’accordent à dire que l’expropriation rentre dans le cadre des impacts négatifs d’un projet. Le sujet est désormais sur toutes les tables de discussions depuis les casses subies par les populations de Bali-Dikolo à Douala le samedi, 14 mai 2022. Les populations autochtones ont vu tous leurs biens détruits y compris les maisons d’habitation au profit d’un hôtel. Plus de deux hectares de terrains appartenant aux populations locales ont été incorporés au domaine privé de l’Etat apprendra-t-on.
Un crime contre les populations
Plusieurs expropriations au Cameroun dépassent parfois l’entendement humain quand elles ne violent pas les droits des fondamentaux des populations. Comment un État peut-il sacrifier ses populations à la belle étoile au profit d’un hôtel privé ou public ? Plus de 100 familles ne valent pas un immeuble aux yeux des pouvoirs publics. Entre un bâtiment et les citoyens, le choix est vite fait. Pour du pécule, les populations sont animalisées, chosifiées, vilipendées par le Garant de leurs droits et libertés.
Il en est ainsi de plusieurs autres projets où les populations subissent les affres d’une boulimie financière de certaines personnalités parfois avec la complicité des autorités administratives et les chefs traditionnels. Sinon, comment expliquer qu’un étranger ait plus de terrain dans une localité que les autochtones au regard du critère de l’antériorité historique ?
La sous-évaluation des indemnisations
Pour un projet dit-on d’utilité publique, les populations concernées sont généralement victimes de la sous-évaluation de leurs biens. À la base, l’on note une méconnaissance des textes juridiques liés à ces évaluations. Combien coûte une tombe, une maison d’habitation, une tige de cacao, de manioc, de macabo, d’oranger, de palmier à huile. Le secret est conservé par les « experts inaptes » car, plusieurs parmi eux estiment qu’une maison d’habitation, un champ d’arachide, une palmeraie et 04 tombes déplacées peuvent donner lieu à une indemnisation de 25.000 FCFA ou 50.000 FCFA. Ce qui crée donc d’habitude des soulèvements et ce ne sont pas les populations de Lobo dans la Lekié qui nous démentiraient. Parfois, des personnes n’ayant rien avoir avec les indemnisations dans une localité, se taillent la part du Lion. C’est le cas à Lobo où un prêtre après avoir réalisé l’exploit de prendre dans la cagnotte un important pactole, avait pris la clé des champs abandonnant sa paroisse à ses catéchistes. Et c’est la presse locale qui avait attiré l’attention de autorités sur « l’odeur de détournement à Lobo ».
Indemnisations à tête chercheuse
Les indemnisations au Cameroun à en croire certains, n’obéissent pas à une quelconque logique. L’on se demande s’il y a un vide juridique qui entraîne cette navigation à vue. Depuis plus de 05 ans, les populations des arrondissements d’Esse, Soa et Awae dans la Mefou et Afamba, région du Centre sont toujours dans l’attente de leur indemnisation. Le projet routier Soa-Esse-Awae avait entraîné la destruction de leurs biens. Plus de 05 ans, pas de route et pas d’indemnisation. La raison avancée par les responsables du ministère des Travaux Publics est qu’il y avait eu erreur dans l’opération de comptage des tombes. Un doigt accusateur pointe alors le préfet d’antan qui, avait essayé de duper tout le monde pour ses intérêts personnels. Sur les 200 tombes recensées au départ, cette autorité administrative encore en fonction, avait ajouté un autre zéro sur 200. Ce qui faisait donc 2000 tombes. Si son coup réussissait, il devait bénéficier des indemnisations sur 1800 tombes. Plus de 05 ans pas d’indemnisations pour les populations de ces 03 arrondissements.
Les populations d’Olembé à Yaoundé qui réclamaient leurs indemnisations ont fini par maudire le stade d’Olembé à Yaoundé.
Dans d’autres localités, les élites prennent à corps ce problème et finissent par le résoudre. C’est le cas de Lobo cité plus haut. Aucune logique dans le processus d’indemnisations. D’aucuns estiment que l’Etat devrait procéder à une certaine traçabilité des indemnisations et à une évaluation raisonnable des biens des populations pour éviter des soulèvements populaires. D’autres par contre, appellent les pouvoirs publics à savoir protéger les biens des populations, à faire un savant distinguo entre un projet d’utilité publique et celui privé où certains barrons estiment qu’avec de l’argent, ils peuvent acheter tout un village.
Jean Baptiste Bidima